5 petites rageuses sur neige,l'Auto-Journal, février 1978 PDF Imprimer Envoyer
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Jeudi, 11 Juin 2009 14:52

5 PETITES RAGEUSES SUR NEIGE

Peugeot 104 ZS Coupé - Simca Rallye 3 - Renault 5 Alpine
Volkswagen Golf GTI - Autobianchi A 112 Abarth

(André Costa, L'Auto Journal, 1.2.1978)

104zs714 Seulement 3,36 m de long
mais beaucoup de tempérament
et une maniabilité toute particulière
en raison de sa bonne
répartition des poids.

66 CV à 6 200 tr/mn pour 1 124 cm3,
tout cela au prix de 24 670 francs.

Ces "petites rageuses", vous commencez à bien les connaître. Sur le sec aussi bien que sur le mouillé, nous les avons approchées ensemble sur le circuit routier de Montlhéry et, bien qu'il n'ait jamais été question d'établir entre elles un classement stéréotypé, chacun a déjà pu tracer les grandes lignes de sa hiérarchie personnelle.
Cependant, il s'agit là de voitures suffisamment importantes pour qu'on y revienne en toutes circonstances, ou plutôt chaque fois qu'une pièce nouvelle peut être apportée au dossier. Elles sont les héritières - ou plus exactement les mutantes - d'un style de voitures dont il est permis de s'interroger sur les présentes chances de survie.
L'une après l'autre, les grandes carrosseries sportives des années 50 sont mortes, emportant dans la tombe leurs imposants multicylindres aux "gamelles" gourmandes. Ils étaient magnifiques ces monstres grondants, les collectionneurs d'aujourd'hui se les disputent mais, il faut le reconnaître, le réel plaisir de conduite qu'ils procuraient n'allait pas toujours au-delà des griseries nées de la vitesse pure considérée comme une fin en soi...
A l'inverse, les "petites rageuses" n'emportent pas leur conducteur dans l'univers vacillant des 250 km/h. Leurs démocratiques 4 cylindres crachent comme ils le peuvent, dans des feulements aigrelets de petits fauves agressifs, mais leurs réflexes sont à proprement parler d'acier. Pour le prix d'une bonne berline des familles qu'elles parviennent presque d'ailleurs à remplacer, elles ouvrent les portes d'un style de conduite réservé jadis aux dieux de la compétition. Freinages pointus, enchaînements étourdissants, courbes insidieuses, contre-braquages paradoxaux, les petites rageuses permettent tout cela, en dépit de leurs carrosseries anonymes...
Alors, puisque ces voitures représentent en quelque sorte ce que l'industrie automobile de grande série peut nous offrir de mieux, il nous appartient tout naturellement de pousser nos exigences au plus haut.

LA VERITE SUR NEIGE

Des essais sur la neige et la glace, pourquoi cela ? D'abord, parce que des dizaines de milliers d'automobilistes sont appelés chaque hiver à circuler dans ces conditions et puis, ensuite, en raison du caractère hautement exemplaire de la neige et de la glace. La route blanche ne possède pas l'exclusivité du dérapage obsessionnel : la pluie, la boue, le gravier et le sable appartiennent au même monde périlleux de l'adhérence zéro, où l'homme et la mécanique doivent satisfaire à des exigences spécifiques, bien éloignées des consignes normalement dispensées par ceux qui prétendent trop souvent nous apprendre à conduire..
En quelque sorte, les essais sur la neige appartiennent à l'expérimentation d'un véritable système. La voiture forme normalement une entité globale qu'il serait vain de vouloir dissocier mais sa meilleure exploitation sur route glissante repose sur des données tellement variées que les conclusions techniques s'orientent obligatoirement dans des directions très éloignées les unes des autres.
Sur la glace, une voiture repose normalement sur des pneus garnis de clous, que l'on nomme pompeusement crampons, et qui sont destinés à retrouver une part de l'adhérence perdue, soit en griffant la glace, soit en perçant la neige et en agrippant le revêtement lorsque la chose est possible.
Or, c'est là que réside la première "malcompréhension" du problème, basée chez les uns sur l'ignorance pure et simple et chez quelques autres, sur une sorte de fétichisme confortable: un clou, c'est un clou... Cloutons mes frères, et nous ne glisserons pas dans l'abîme!..
Ainsi, j'avais demandé aux constructeurs ou importateurs de mettre à ma disposition pour chaque voiture un train de roues cloutées et j'avais précisé que je désirais un cloutage "commercial", à l'exclusion des crampons pyramidaux ou multipointes réservés par la loi - et aussi par la raison - à la compétition.
Mieux que de trop longues phrases, voici le rapport que j'aurais pu rédiger après dix tours de reconnaissance accomplis sur le circuit d'lsola 2000.

- Golf GTI : adhérence extrêmement faible, surtout en longitudinal. Pas de motricité. Arrière furieusement baladeur.
- 104 ZS : idem.
- A 112 Abarth : clous très proéminents, se couchant et s'arrachant très facilement sur les roues motrices.
- R 5 Alpine : peu de clous, très enfoncés sur de larges pneus. Voiture difficilement conduisible.
- Rallye 3 : peu de clous sur de larges enveloppes - très mauvaise adhérence dans le transversal.

Isola 2000 est certes un lieu de séjour agréable mais les garagistes y sont rares et il fallait donc faire flèche de tout bois. Des emprunts opérés sur deux voitures "locales" permirent à la GT 1 et à la ZS de retrouver, sur leurs roues motrices tout au moins, un cloutage décent tandis qu'un spécialiste de Saint-Etienne-sur-Tinée passait un après-midi entier à percer les deux enveloppes motrices de la R 5 Alpine, afin d'en doubler purement et simplement le cloutage.
Sur la A 112 Abarth, il fallut se contenter d'échanger entre l'arrière et l'avant les cloutages trop fragiles, avant de soumettre toutes les voitures à un rodage de 100 kilomètres sur route sèche - dans la vallée - à moins de 70 km/h.
Quant à la Rallye 3, je ne pouvais malheureusement rien pour elle mais le bilan global apparaît pour le moins éloquent. Lorsque des professionnels de l'automobile, intéressés pourtant au premier chef par le bon comportement de leur produit, commettent de telles erreurs d'équipement, comment ne pas éprouver des craintes quant à la manière dont l'utilisateur moyen est conseillé en matière d'équipement hivernal ?
Chaussées de manière enfin convenable, les cinq invitées furent ensuite conviées à faire preuve, sur le circuit d'lsola, de leurs qualités naturelles. Le chrono est-il indispensable pour une épreuve de ce genre ? Oui, sans doute, car son exploitation permet d'apprécier de quelle manière la voiture répond aux sollicitations dont elle est l'objet, et aussi de juger de son efficacité pure sur un terrain bien particulier.
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Le circuit de glace d'Isola 2000 est son découpage en huit zones de chronométrage successivement exploitées.

INVENTAIRE EN BLANC

- C'est la Golf GTI qui a fourni les meilleurs chronos avec un tour accompli en 51 sec. 78/100e, soit 48,66 km/h. Clouté léger, son arrière était plutôt volage en ligne droite et en descente mais il aidait à la maniabilité en virage.
Efficacement secondée par un moteur non seulement puissant mais également souple à régime moyen la GTI a fait preuve d'une honnête motricité tandis que la précision et la rapidité de réactions de sa direction permettaient au conducteur de se placer avec précision dans les virages et de "balancer" la voiture sans difficultés, cela sans oublier une stabilité au freinage généralement satisfaisante.
- Face aux 100 CV de la GTI, les 66 CV du petit l124 cm3 de la 104 ZS ne paraissent vraiment pas faire le poids. Et pourtant... En vérité, les mérites d'une carrosserie légère et surtout compacte, dépourvue des porte-à-faux pesants qui assassinent la véritable sécurité - c'est-à-dire la mobilité - éclatent ici au grand jour.
Un meilleur tour en 52 sec. 54/100e, soit 47,96 km/h et voilà le petit coupé 104 ZS en seconde position en ce qui concerne les chronos. Au volant, l'engin est très bien équilibré et, surtout, dépourvu d'inertie. La moindre intention du pilote est saisie au vol par la mécanique et si l'adhérence du freinage n'est pas extraordinaire, la motricité se maintient dans les limites de l'acceptable, avec une bonne précision de direction.
Un inconvénient toutefois - que j'avais déjà constaté précédemment -- les Silentblocs de l'ensemble motopropulseur sont très souples et lorsque la voiture passe en accélération sur des bosses de neige gelée, le tout s'agite au point que la seconde saute toute seule si la main droite du pilote ne contrôle pas le levier de boîte...
- Avec un meilleur tour en 52 sec. 85/100e, la R5 "Alpine" talonne sa petite rivale. Plutôt souple, le moteur ne manque pas de puissance mais la voiture est très sous-vireuse et il faut la balance énergiquement - ce qu'elle accepte d'ailleurs volontiers - pour la lancer comme il convient dans un virage à court rayon. Quoi qu'il en soit, la direction de série m'a paru trop démultipliée pour ce style de conduite et la stabilité transversale de la voiture est faible, une part de responsabilité peut peut-être incomber aux enveloppes M + S Dunlop dont le dessin a d'ailleurs surpris.
A remarquer que la 5 "Alpine" souffre du même inconvénient que la 104 ZS : une seconde qui saute en accélération sur les revêtements cahoteux.
- 1 049 cm3, 70 CV... L'Autobianchi A 112 Abarth est la benjamine parmi les petites rageuses mais le comportement de son moteur n'en est pas moins satisfaisant. De la puissance, certes mais également beaucoup de couple disponible à régime moyen, ce qui rend la conduite - sportive ou non - bien agréable.
Malheureusement, la A 112 ne possède pas une. motricité extraordinaire et cet inconvénient prend encore de l'importance sur la neige et la glace. Tant que la vitesse demeure élevée, la voiture réagit à l'accélérateur mais la direction ne possède pas la spontanéité de réactions qu'on est en droit d'attendre de la part d'un véhicule aussi compact. Les braquages doivent être largement anticipés, les changements de cap rapides sont difficilement déclenchables et l'adhérence au freinage n'est pas non plus pleinement satisfaisante.
Ces restrictions ne doivent pourtant pas nous faire oublier la très grande facilité de conduite de la A 112, à laquelle il suffirait peut-être d'appliquer un réglage de train avant mieux étudié pour le sol glissant pour obtenir un véhicule efficace.
Mais, quoi qu'il en soit, un meilleur tour en 52 sec. 89/100e - soit 47,64 km/h - place quand même la petite Abarth bien près des résultats obtenus par les 1 397 cm3 de la 5 Alpine.
- Il est certes décevant de retrouver une voiture aussi brillante que la Rallye 3 en semblable position, c'est-à-dire avec le chrono le moins convaincant : 53 sec. 98/100e, c'est-à-dire 46,68 km/h.
L'explication de cette médiocre performance réside dans les caractéristiques de base du véhicule - tout à l'arrière - et aussi dans celles de son équipement. De la motricité certes, une voiture facile à contrôler en accélération mais une adhérence très faible dans le latéral - voire nulle sur l'avant - et des freins devenant rapidement inefficaces...
En ce qui concerne les freins, le diagnostic est simple : la Rallye 3 est débarrassée en série de ses protections de disques - afin d'améliorer leur refroidissement - mais leur remontage doit être envisagé sur routes enneigées.
Je pense, par ailleurs, que toutes soit choses égales, une "tout à l'arrière" demande un cloutage plus important qu'une traction avant et cela surtout sur l'avant.
L'épingle aval du circuit d'lsola est tracée en dévers, au bas d'une légère descente, et le train avant de la Rallye 3 glissait irrésistiblement vers l'extérieur, même à très faible vitesse, à moins d'avoir préalablement "balancé" outrageusement, en maintenant, ensuite, un "travers" très accentué à l'accélérateur... Mais l'exécution d'une telle manoeuvre sur une piste extrêmement étroite réclame vraiment beaucoup de virtuosité, à moins de prendre à chaque tour le risque de se "planter" et surtout faire de la tôlerie!
Cela étant, il est très possible qu'en assouplissant la suspension avant et en augmentant par exemple son carrossage négatif, on parvienne à régulariser les réactions d'une voiture par ailleurs extrêmement efficace en accélération.
Ainsi, les essais sur la neige ne bouleversent que partiellement une hiérarchie dressée par ailleurs, sur le goudron sec et mouillé. La VW Golf GTI demeure en vedette et le coupé 104 Peugeot ZS profite de l'occasion offerte pour mettre encore en valeur sa grande maniabilité. A l'inverse, la Rallye 3 nous souligne à quel point les qualités naturelles d'une voiture doivent être adaptées à un terrain particulier.
Quant à la A 112 Abarth et à la 5 Alpine, elles n'ont pas démérité mais, sans être véritablement distancées, elles ont souffert, la près d'une suspension vraisemblablement bien ferme pour la neige et, la seconde d'une direction relativement trop démultipliée ainsi que d'une monte en pneumatiques dont les réactions ont laissé perplexes tous ceux qui l'ont expérimentée sur la piste d'lsola 2000.
En matière de cloutage, ces essais nous auront confirmé le fait que les "traction avant" sont moins exigeantes à ce propos que les "propulsion arrière" mais que, de toute manière, leur adaptation doit répondre à des règles bien précises :
- L'implantation doit être effectuée par un spécialiste car, si un crampon insuffisamment enfoncé se déchausse trop aisément sur les roues motrices, son efficacité sera nulle s'il disparaît trop profondément dans le caoutchouc.
- Dans tous les cas, un rodage effectué sur goudron sec, à vitesse normale mais sans changements d'allure brusques ni virages abordés vivement, permettra aux clous de chauffer et, ce faisant, de s'incorporer littéralement au caoutchouc (il est également possible de coller les crampons).
- Il sera toujours préférable de monter des clous pourvus d'une double collerette dont le pouvoir d'accrochage au pneumatique est bien supérieur.
- Les cloutages "légers" tournant autour d'une centaine de crampons par pneumatique sont, bien entendu, les plus économiques mais leur efficacité est relative, surtout sur les roues directrices, qu'elles soient motrices ou non.
A l'extrême, je pense que je préférerais personnellement une traction avant montée avec uniquement deux roues bien cloutées à l'avant plutôt qu'avec quatre pneumatiques traités "légèrement"!
- Deux cloutages abondants à l'avant et deux traitements "légers" à l'arrière constituent une solution parfaitement raisonnable pour une traction avant mais le comportement d'une propulsion arrière ne sera vraiment satisfaisant qu'avec quatre cloutages sérieux oscillant - suivant le diamètre des pneus - entre 160 et 220 clous.
- Un cloutage léger ne sera donc qu'un dépannage dont seul un conducteur entraîné pourra se satisfaire - surtout sur deux roues seulement - mais, dans le meilleur des cas, un cloutage ne garantira jamais contre le dérapage, son rôle essentiel consistant seulement à régulariser celui-ci, afin d'en permettre l'exploitation rationnelle dans le cadre d'un style de conduite approprié (observation valable à partir de 20/30 km/h).
- L'efficacité d'un cloutage dépendra également des pneumatiques sur lesquels il sera adapté. Il sera toujours préférable de choisir des véritables M + S fortement crantés - surtout à l'épaulement - et d'écarter si possible les nouveaux profils "hiver" étudiés pour la circulation hivernale dans son ensemble mais, dans tous les cas, sans crampons, dans les pays où cet équipement pourtant tellement utile est interdit!

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Cinq voitures mais aussi beaucoup de bonne volonté et d'assistance technique de la part des familiers du circuit d'Isola 2000.

LA VOITURE DE NEIGE IDEALE

Un mot enfin, concernant les caractéristiques de la voiture de neige idéale. Quoi qu'en pensent certains spécialistes, je suis persuadé qu'une traction avant est de loin la plus facile à conduire sur sol très glissant, surtout avec un cloutage léger et en dépit d'une motricité chroniquement défaillante.
Il est vrai que pour un professionnel des rallyes, la bonne motricité d'un tout à l'arrière garantit les meilleures accélérations mais cela au prix d'un cloutage et d'une dextérité particuliers. Quant au plaisir indiscutable que peut éprouver un spécialiste à maîtriser les "travers" continuels d'une "propulsion", il n'a rien à voir avec le souci de sécurité qui anime le conducteur moyen, pas plus d'ailleurs qu'avec les préoccupations de rendement qui hantent le coureur.
Et puis, en dehors de cette option de base, la direction, la suspension, les freins et les roues peuvent être ou non adaptés à la neige et à la glace.
Seule une direction directe, permettant des angles importants d'un seul mouvement, sera capable de guider précisément le véhicule et une suspension souple procurera a priori la meilleure adhérence, au point que bon nombre de voitures de série moderne s'en trouveraient améliorées si l'on désaccouplait purement et simplement leurs barres antiroulis.
Surtout sur les "traction avant", une prépondérance de freinage sur l'avant est quelquefois nuisible, en entraînant des blocages de roues directrices. Je me souviens de certaines Lancia de compétition totalement dépourvues de freinage sur l'avant - pour le glissant seulement - la prépondérance de freinage sur l'arrière permettant de pallier la lourdeur de l'avant par des amorces de tête-à-queue déclenchées à bon escient.
En théorie tout au moins, il existe une solution sur les voitures de série : inverser tout simplement le répartiteur.,. mais, attention quand même! On voit mal d'ailleurs un automobiliste surpris par la neige s'arrêter sur le bord de la route pour s'y atteler...
Les roues : plus le diamètre des jantes sera important et plus les pneus accepteront de clous. A ce propos, les jantes de 15 et de 16 sont les meilleures, cela sans parler de leur meilleur comportement sur sol cahoteux - neige gelée par exemple - où elles n'auront pas tendance à tomber littéralement dans les trous, comme le font les petites roues de 12!
Les détails d'équipement, enfin. Les spoilers avant résistent mal à la neige : ceux de la GTI et de la Rallye 3 ont été rapidement arrachés et, compte tenu de leur fixation relativement sommaire, il paraît préférable de les démonter à l'avance.
La Rallye 3 est également vulnérable côté élargisseurs : ceux des roues avant ont été arrachés par l'intérieur, en raison de l'accumulation intempestive de la neige glacée dans les passages de roues. A l'arrière, quelques contacts involontaires avec le mur de neige ont entraîné leur disparition prématurée.
Quant à la GTI, elle souffre d'une fragilité étonnante côté pare-chocs, au point que l'on pourrait presque conseiller à VW de ne pas en monter du tout, ce qui aurait l'avantage de la franchise vis-à-vis de la clientèle!..

Mise à jour le Jeudi, 11 Juin 2009 14:56